Portraits aux yeux clos

Tout a commencé par un jeu.
C’était au cours d’une promenade en forêt, ma fille et moi chahutions. J’ai demandé à Louise de fermer les yeux et de compter jusqu’à dix… J’ai alors pris la photo. C’était imprévu, faire une image, juste pour rire.
Depuis, et chaque fois que je regarde ce portrait, l’émotion est intacte. Louise est là, s’offrant à moi, bras grands ouverts. Elle a quatre ans, partagée entre l’amusement, les rêves et la crainte. Le grand arbre, sous lequel elle s’abrite et compte, mesure sa fragilité.
J’observe ses paupières rosées et presque transparentes. La tension délicate mais bien réelle de son front, ses sourcils, sa bouche et son rire retenu, révèlent une vie intérieure intense.
Je pense à cette belle parole de Raymond Depardon: « Je cherche un bonheur court pour le garder longtemps.»  J’aime le temps de l’image, il est une pause pour aimer.
Je caresse du regard le lissé de la peau de Louise et les ramages colorés de sa robe. Les mèches fines et défaites de ses cheveux sont autant de fils d’or.

Alain Levillain